"Il s'en alla dans la montagne pour prier"
Évangile selon saint Marc
Les ciseaux de l'infirmière me débarrassent de ma lourde carapace de vêtements, gelés à l'extérieur, humides et glacés sur ma peau violacée. Je découvre mon corps, décharné et affreusement meurtri par tant de jours dans la tempête, sans nourriture ni boisson. Mes mains et mes pieds, gonflés et durcis par le gel, sont livides ; des taches noires apparaissent au bout des orteils.
Les yeux mi-clos, naviguant dans un épais brouillard, je perçois quelques bribes du dialogue à voix basse entre le chirurgien et ses aides : « Le coeur est irrégulier, sa pointe est « gelée ». Ça y est, la température intérieure remonte ! Bon Dieu, son sang est tellement épais que je n'arrive pas à faire la prise de sang ! » Mais je reste in différent à tout.
Bientôt, sondes, appareils de contrôle, perfusions sont en place. Peu à peu, dans ces draps secs, les frissons cessent ; très progressivement mes muscles noués se relâchent, mes os reprennent leur place. Pour tant une immense tristesse m'envahit. Malgré ce retour parmi les hommes, cette sympathie et ce dévouement dont je suis entouré, je me sens seul, atrocement seul.
Les jours passent. Sur mon lit d'hôpital je me sens las, vieux, fini malgré mes 22 ans. Nombreux sont ceux qui viennent voir le jeune inconnu qui a osé affronter, seul et en hiver, le Linceul dans la face nord des Grandes Jorasses. Leur sympathie spontanée me touche profondément. Mais peuvent-ils comprendre ? Pourquoi me parlent ils toujours d'exploit, de résistance hors du commun, de courage, de volonté, d'audace ? Je n'ai rien de tout cela. Je n'ai aucun mérite à avoir réussi cette ascension, et il faudrait que je sois bien vain pour en être fier. En dépassant mes limites, j'ai enfreint les lois de la nature, mis en péril d'autres vies que la mienne. Cependant, j'ai vécu plu sieurs jours là-haut, dans un état de visionnaire, d'ascète, en proie à une exaltation spirituelle que je n'avais jamais connue auparavant. Aussi, je ne regrette rien, pas même les dures épreuves du retour. Cette expérience est bien au-dessus de toutes celles que j'ai vécues auparavant.
Rien ne me destinait à devenir alpiniste et guide. Trois ans plus tôt c'est par hasard que j'avais découvert la montagne en lisant un livre de Walter Bonatti. Son escalade du grand pilier du Petit Dru m'avait fasciné. Comme lui, je voulais devenir guide et, au désespoir de mes parents, modestes immigrés italiens, j'abandonnais mes études. Seul, j'appris la technique du rocher et de la glace en tirant la leçon de mes propres erreurs. Mes progrès furent rapides, trop même, car à force de sauter des marches, on finit un jour ou l'autre par se casser la figure par manque de maturité ! Très à l'aise sur le rocher moyen, je n'hésitais pas à me lancer dans de longues ascensions solitaires dont je n'avais peut-être pas toujours la compétence. Mais tout me réussissait, je me sentais protégé. Mes plus grandes joies, je les ai trouvées en bivouaquant tout seul au sommet d'une grande montagne après une difficile escalade. Mes plus beaux souvenirs sont des jour nées de tempêtes vécues prisonnier d'une gigantesque paroi. J'évoluais alors dans un monde irréel qui n'était plus celui des vivants mais pas encore celui des morts. Pour beaucoup j'étais un casse cou, un inconscient, un névrosé.
Je connais peu de chose des raisons qui motivaient ces entreprises. Il est vrai que mes actes ont rarement été le fait de ma seule volonté et liberté de décision. Comme dans la phrase célèbre « Je, est un autre ». je me sentais le jouet d'impulsions, d'obligations intérieures, contre lesquelles je ne pouvais rien. Aussi, je me laissais guider, sachant que tout devait se passer ainsi et que tout effort de ma volonté serait non un pas en avant, mais un obstacle. Grâce à l'escalade solitaire, j'apprenais à contrôler mes pensées, à dominer ma peur, à dialoguer avec moi-même, et, enfin, à m'auto-éduquer. Je découvris ainsi ma médiocrité et celle de notre monde absolument invivable. J'avais la nette conscience d'être un dégénéré, comme presque tous les hommes de cette planète. A vingt et un ans, je n'avais déjà plus aucune dent et vomissais la plupart de mes repas. Je sentais que je n'étais pas un homme réalisé, digne de ce nom et il m'arrivait d'en pleurer. Nous avons oublié que nous pouvons tous être des fils de Dieu, des maîtres à l'image de Jésus. Si j'ai voulu gravir le Linceul, c'était précisément pour remettre en question ma vie même devant Dieu. Je ne pouvais plus supporter ma médiocrité, mes signes incontestables de dégénérescence physique et morale. C'était la preuve d'un profond égoïsme.
Mon projet était bien au-dessus de mes forces. Je voulais gravir le premier tiers de la voie directe Desmaison à l'éperon Walker, rejoindre le Linceul au-dessus des goulottes et sortir directement au sommet par la grande muraille où Serge Goussault a trouvé la mort. J'a vais décidé au hasard de commencer mon ascension le dimanche 23 février quel que soit le temps, mais j'avais l'intuition qu'il ferait très beau.
C'est sans veste en duvet, et sans onglée malgré mes mains nues sur le rocher verglacé, que j'ai gravi les trois cent cinquante premiers mètres de la voie directe. Depuis deux jours, je répétais trois fois les longueurs à cause de mon sac très lourd. J'avais emporté beaucoup de matériel pour venir à bout des murs déversés par lesquels je comptais atteindre le sommet. La nuit, harnaché dans des sangles fixées à des pitons à cause du manque de vis, je frissonnais souvent, mal protégé par un simple « sursac » isotherme et une petite tente de paroi. J'avais heureusement le réconfort de boissons chaudes. Les quatres premiers jours n'ont pas d'histoire et il serait fastidieux de les raconter. A mesure que je m'élevais dans la grande paroi, je per dais la notion du temps. Dans cette solitude totale, j'oubliais la fatigué, la soif, la faim, le froid. Malgré la glace noire, vitrifiée et cas santé du Linceul, je n'avais plus conscience du danger, des difficultés. Je franchissais de longs passages sans auto-assurage, en équilibre précaire sur les pointes avant de mes crampons qui pénétraient de quelques millimètres seulement. Je perdais de longues minutes sans y faire attention à observer quelques bulles d'air dans la glace ou un petit lichen sur le rocher. J'en arrivais à oublier que je devais atteindre le sommet. Seule la très grande raideur de la pente m'obligeait à réaliser ma position et à progresser vers le haut.
Le mercredi 26 février, j'installai mon bivouac sur l'îlot rocheux isolé au milieu du Linceul. En changeant de cartouche, je perdis le joint d'étanchéité de mon réchaud et je dus le jeter. Je me débarrassai aussi de ma réserve de gaz, des vivres déshydratés devenus inutilisables, de la viande séchée et du lard que je ne pouvais plus supporter. Toute la nuit, pour étancher ma soif, j'ai sucé des glaçons. Ma bouche était amère et brûlante mais je restais serein. J'aurais pu redescendre facilement : une vingtaine de rappels et j'étais au pied de la face, sauf. Mais je n'étais plus libre de mes actes et je devais continuer. J'abandonnai à contrecœur du matériel d'escalade et mes deux cordes de 40 m pour m'alléger. C'est en solitaire intégral, avec un sac encore très lourd, que je décidai de rejoindre l'arête des Hirondelles. Tous les dix mètres je m'arrêtais épuisé, pour reprendre mon souffle et soulager les crampes de mes mollets. Jamais je n'avais autant souffert. La moindre faute de cramponnage et c'eût été la grande glissade avec, au bout, la mort. La peur qui lentement s'insi nuait en moi augmentait ma fatigue.
Je n'étais plus qu'à cinquante mètres de la sortie lorsque j'entendis un hélicoptère approcher. C'était le secours en montagne. J'enfonçai une broche dans la glace, m'y attachai et levai les bras en « V » pour signaler ma détresse ; lorsque j'aperçus dans la cabine ces deux hommes qui venaient pour moi, je ne pus retenir des larmes. Je restai plusieurs minutes ainsi, immobile, bras levés, puis récupérai ma broche et repris mon ascension. L'hélicoptère s'éloigna. J'étais persuade qu'il viendrait me récupérer sur l'arête. Cette crise nerveuse m'avait survolté : c'est presque en courant que je franchissais les derniers mètres. Le Linceul était vaincu, mais si l'on ne me venait pas en aide. j'étais sans doute perdu.
Après un bivouac glacial dans une niche de rocher, j'assistai à un lever de soleil sur le Valais ; inoubliable ! Après- cinq jours passés dans l'ombre sinistre de la face nord, ses rayons me réchauffaient malgré le fort vent du matin. Je repris ma progression ; j'étais fati gué, fatigué à mourir. Je dus me débarrasser avec peine du matériel qui, depuis le début, m'aidait au cours de mes ascensions solitaires comme les fidèles outils d'un artisan. Parfois, ma vue se brouillait, mes jambes fléchissaient, et je devais inspirer fortement par le ne/ pour retrouver mes sens. Il me restait seulement trois biscuits complets et quelques morceaux de sucre mais je n'avais plus faim. Vers midi, j'atteignis la jonction avec l'arête du Tronchey. Le sommet était là, tout proche, et j'allais l'atteindre lorsque de nouveau l'hélicoptère approcha. Je fis le signal conventionnel de secours pendant qu'il tournait autour de moi. Puis j'eus une réaction imprévisible : comme la veille, je me mis à courir vers le sommet. Les sauveteurs me croyant en pleine forme s'éloignèrent.
Au sommet je me suis effondré en pleurant. Sans doute était ce a cause de la déshydratation ou de l'épuisement. Lorsque je parvins a me redresser, ma tête se mit à tourner et je faillis basculer par dessus la corniche dans la face nord. Après un long repos, je commençai a descendre vers Courmayeur. J'enfonçais dans la neige jusqu'aux genoux ; tous les dix pas je m'arrêtais, parfois je tombais. Arrivé au niveau des rochers du Reposoir, je m'arrêtai définitivement. J'étais descendu trop bas et ne pouvais plus remonter. Le soir, un hélicoptère rouge venant du col des Grandes Jorasses fonça droit sur moi. Pour la troisième fois, je fis les signaux de secours, mais les sauve leurs qui sont passés exactement au-dessus de moi ne me virent même pas. Au loin, une grande barrière de nuages venant d'ouest avançait lentement : c'était le mauvais temps.
Je ne décrirai pas ici les six jours passés là-haut, à 3 700 m d'altitude, sans nourriture ni boisson, dans la tempête et les avalanches, car cela me serait impossible. J'aurais dû mourir mais, pensant à la douleur de mes parents, j'ai voulu vivre. J'ai prié comme jamais auparavant, directement en contact avec l'objet de mes prières. Le jeudi 6 mars, vers 11 h du matin, l'hélicoptère arriva. Dans la nuit, j'avais été averti de sa venue. Avec un courage remarquable, le pilote stabilisa son appareil au-dessus de moi. D'un instant à l'autre, les nuages qui montaient pouvaient me cacher définitivement à sa vue. Suspendu à un câble d'acier, le gendarme Mathieu descendit
lentement. Il m'installa à sa place... une secousse ! J'étais arraché à une mort certaine. Je n'oublierai jamais ces minutes.
Avant le Linceul, je fuyais en montagne parce que j'avais peur d'affronter la vie, de regarder les réalités en face. A présent, j'ai entrepris un long travail de régénération qui me demandera toute une vie d'efforts, une discipline sévère du corps et de l'esprit. Qu'importé de gravir une paroi extrême ? Il existe en nous des barrières plus infranchissables encore. Le VIP degré n'est pas après le VIe, il est en nous. Mais assez de mots.
28 février 1975 : depuis l'hélicoptère du secours en montagne, Ivan Ghirardini sur l'arête terminale non loin du sommet de la pointe Walker.
TABLEAU DE MARCHE
Vendredi 21 février 1975. - Descente de la Vallée Blanche à skis avec quatre camarades bas-alpins dans l'après-midi et nuit au refuge de Leschaux.
Samedi 22 février. — Pierre Lombard (de Larche) et Michel Longeron (de Maljasset) m'aident à por¬ter mon lourd bagage au pied de la face. La paroi est sèche. Long repos l'après-midi, seul.
Dimanche 23 février. — Vers 10 h je franchis la rimaye et attaque la directe Desmaison à l'éperon Walker. Très vite les difficultés sont sérieuses. Les rampes sont raides et verglacées ; entre elles des murs verticaux ou déversés. Je dois faire trois fois les longueurs à cause du sac. Bivouac très inconfortable le soir.
Lundi 24 février. — Le temps est toujours parfait, la veste duvet n'est pas encore indispensable. Je trouve des cordes fixes laissées par René Desmai¬son mais elles sont inutilisables. Vers 17 h, l'hélicoptère arrive, je fais les signaux conventionnels : tout va bien, je continue. Après avoir gravi les 350 premiers mètres j'installe mon troisième bivouac.
NOTES COMPLEMENTAIRES
Mardi 25 février. — Je rejoins le Linceul par une traversée facile mais je n'ai pas envie de grimper ; je perds beaucoup de temps à observer et je progresse peu dans cette journée. La glace est noire et cassante comme du verre. Bivouac très inconfortable mais la nuit passe quand même assez vite.
Mercredi 26 février. — L'ambiance est vraiment sinistre malgré le temps très beau. Le soir, au bivouac, sur l'îlot rocheux au centre du Linceul, je perds le joint d'étanchéité de mon réchaud. Plus de possibilité de faire fondre la glace, plus de liquide, plus de boissons chaudes !
Jeudi 27 février. — Toujours un temps splendide, j'abandonne cordes, pitons, vivres déshydratés et décide de sortir par l'arête des Hirondelles en solo intégral. La pente n'est plus très raide mais la glace est toujours aussi mauvaise. Sous l'arête, de nouveau un hélicoptère. Je fais les signaux de secours, bras levés en V, puis reprends ma progres¬sion. Sortie par une cheminée facile. Bivouac très joli dans une niche de rocher sur l'arête.
Vendredi 28 février. — L'arête est facile mais je suis épuisé. Tout prés du sommet, l'hélicoptère
revient. Je fais à nouveau les signaux de détresse puis cours vers le sommet sans savoir pourquoi. L'hélicoptère s'en va. J'entreprends la descente sur Courmayeur. Le soir, l'hélicoptère fonce sur moi mais ne me voit pas. Il ne me reste que trois morceaux de sucre et deux biscuits. J'installe mon bivouac vers 3 500/3 700 m.
Samedi Ier mars. — Arrivée du mauvais temps. Je n'ai plus la force de continuer et, installé sous ma tente de paroi, je ne bouge pas de la journée.
Dimanche 2 mars. — Tempête de neige et de vent violent qui me ballotte dans mon frêle abri.
Lundi 3 mars. — Tempête de neige. Une avalanche recouvre ma tente. Je réussis a me dégager après bien des contorsions et des efforts désespérés.
Mardi 4 mars. — Légère accalmie ; je suis au-dessus des nuages. Le gros mauvais est passé.
Mercredi 5 mars. — Je n'ai plus la force de me tenir debout, mais à force de prier (non pour moi-même et ma pauvre carcasse), je pénètre dans un exaltant délire mystique. Mes pieds gèlent.
Jeudi 6 mars. — Vers 11 h 30 l'hélicoptère revient et me repère sur le glacier. Il parvient à se stabiliser ; le treuillage est rapide. Quelques minutes plus tard je suis au sec dans la salle de réanimation de l'hôpital de Chamonix.
MATERIEL ET EQUIPEMENT
Rien d'original si ce n'est une petite lime pour affûter les crampons aux bivouacs. Cela réchauffe et c'est efficace sur les « Makalu ».
— chaussures hivernales R.D. et surbottes ;
— pantalon et veste duvet protégés par survêtement en coton fort ;
- 2 cordes de 80 m en 9 mm, deux poignées auto-blocantes, 15 mousquetons, 5 à vis, une plaquette frein Salewa pour auto-assurance dynamique, 20 pitons de rocher et des bicoins pour la sortie directe ;
— un piolet métallique, 2 marteaux d'escalade « Condor », 2 paires de crampons « Makalu », 15 broches coniques — les seules efficaces en hiver ;
— un réchaud à gaz pouvant se suspendre à un piton et 6 cartouches de réserve ;
— pour le bivouac : une tente de paroi et un sur sac isotherme. J'ai regretté l'absence de hamac à cause du manque de vires suffisantes. J'ai passé tous mes bivouacs dans la face sur des sangles accrochées à des pitons.
Nota. — Un stylo lance-fusée ou une radio m'auraient permis de communiquer plus facilement avec le secours en montagne.
ALIMENTATION
J'avais prévu 10 jours de vivres avec 500 gr par jour, soit 5 kg. En fait, j'ai très peu mangé et je me suis très vite débarrassé du lard, du chocolat, du lait condensé et en poudre, du thé, du café, des vitamines « C ». Tout cela ne passait pas. J'ai surtout apprécié des biscuits complets de ma fabrication, des noisettes et des amandes, du miel. La perte de mon réchaud a été vraiment une catastrophe car il faut boire environ 3 1 par jour. En suçant de la glace, j'ai pu éviter l'inexorable intoxication du sang due à la déshydratation mais j'ai fortement refroidi mes viscères ce qui a provoqué les gelures.
TECHNIQUE
— Je ne me suis pratiquement jamais assuré sauf dans la directe Desmaison pour franchir la rimaye et pour un mur déversé en artificielle. J'attachais mon sac à la paroi, lovais soigneusement ma corde et grimpais sur 40 m, installais un solide relais, redescendais chercher le sac et remontais à la corde.
- Le treuillage du sac est exclu dans les parties rocheuses car il y a trop d'aspérités ; il est par contre facile dans le Linceul.
— Pour la glace, j'ai utilisé la technique « piolet-traction double ». Pour soulager les mollets, il faut mettre un pied sur les pointes avant et l'autre en cramponnage latéral puis inverser tous les 10m.
NOTES DIVERSES
— Il est sans doute possible pour un fort grimpeur de sortir le Linceul en hiver dans la journée malgré la glace mauvaise en passant dans la goulotte de droite. Un matériel plus léger est alors suffisant.
— A partir du troisième jour, le grimpeur solitaire pénètre dans un autre monde, avec une autre logique. L'accoutumance au danger est alors surprenante. Etat de visionnaire prononcé suivant l’isolement et l'individu.
— On peut tenir très longtemps sans nourriture. Il faut en être persuadé et rester serein. Tout se passe alors très bien. Contrairement à ce que l'on pourrait croire cela ne demande pas d'efforts de volonté. Il n'y a là rien de surhumain.
- Malgré un état d'épuisement extrême, j'ai pu chaque nuit dormir sans crainte de ne pas me réveiller le lendemain. Nous programmons sans doute nous-mêmes notre mort. Dois-je terminer en disant le dévouement des sauveteurs du secours en montagne.
N.D.L.R. : Le fait que l'hélicoptère soit passé plusieurs fois à proximité de l'alpiniste effectuant les signaux usuels de détresse — bras levés en V — sans déterminer cette situation, souligne la nécessité de prévoir le carré de tissu rouge avec couronne de couleur blanche qui, étendu sur la neige ou le rocher, constitue un signal d'appel au secours récemment adopté par la Commission Internationale de Secours Alpin.
Les yeux mi-clos, naviguant dans un épais brouillard, je perçois quelques bribes du dialogue à voix basse entre le chirurgien et ses aides : « Le coeur est irrégulier, sa pointe est « gelée ». Ça y est, la température intérieure remonte ! Bon Dieu, son sang est tellement épais que je n'arrive pas à faire la prise de sang ! » Mais je reste in différent à tout.
Bientôt, sondes, appareils de contrôle, perfusions sont en place. Peu à peu, dans ces draps secs, les frissons cessent ; très progressivement mes muscles noués se relâchent, mes os reprennent leur place. Pour tant une immense tristesse m'envahit. Malgré ce retour parmi les hommes, cette sympathie et ce dévouement dont je suis entouré, je me sens seul, atrocement seul.
Les jours passent. Sur mon lit d'hôpital je me sens las, vieux, fini malgré mes 22 ans. Nombreux sont ceux qui viennent voir le jeune inconnu qui a osé affronter, seul et en hiver, le Linceul dans la face nord des Grandes Jorasses. Leur sympathie spontanée me touche profondément. Mais peuvent-ils comprendre ? Pourquoi me parlent ils toujours d'exploit, de résistance hors du commun, de courage, de volonté, d'audace ? Je n'ai rien de tout cela. Je n'ai aucun mérite à avoir réussi cette ascension, et il faudrait que je sois bien vain pour en être fier. En dépassant mes limites, j'ai enfreint les lois de la nature, mis en péril d'autres vies que la mienne. Cependant, j'ai vécu plu sieurs jours là-haut, dans un état de visionnaire, d'ascète, en proie à une exaltation spirituelle que je n'avais jamais connue auparavant. Aussi, je ne regrette rien, pas même les dures épreuves du retour. Cette expérience est bien au-dessus de toutes celles que j'ai vécues auparavant.
Rien ne me destinait à devenir alpiniste et guide. Trois ans plus tôt c'est par hasard que j'avais découvert la montagne en lisant un livre de Walter Bonatti. Son escalade du grand pilier du Petit Dru m'avait fasciné. Comme lui, je voulais devenir guide et, au désespoir de mes parents, modestes immigrés italiens, j'abandonnais mes études. Seul, j'appris la technique du rocher et de la glace en tirant la leçon de mes propres erreurs. Mes progrès furent rapides, trop même, car à force de sauter des marches, on finit un jour ou l'autre par se casser la figure par manque de maturité ! Très à l'aise sur le rocher moyen, je n'hésitais pas à me lancer dans de longues ascensions solitaires dont je n'avais peut-être pas toujours la compétence. Mais tout me réussissait, je me sentais protégé. Mes plus grandes joies, je les ai trouvées en bivouaquant tout seul au sommet d'une grande montagne après une difficile escalade. Mes plus beaux souvenirs sont des jour nées de tempêtes vécues prisonnier d'une gigantesque paroi. J'évoluais alors dans un monde irréel qui n'était plus celui des vivants mais pas encore celui des morts. Pour beaucoup j'étais un casse cou, un inconscient, un névrosé.
Je connais peu de chose des raisons qui motivaient ces entreprises. Il est vrai que mes actes ont rarement été le fait de ma seule volonté et liberté de décision. Comme dans la phrase célèbre « Je, est un autre ». je me sentais le jouet d'impulsions, d'obligations intérieures, contre lesquelles je ne pouvais rien. Aussi, je me laissais guider, sachant que tout devait se passer ainsi et que tout effort de ma volonté serait non un pas en avant, mais un obstacle. Grâce à l'escalade solitaire, j'apprenais à contrôler mes pensées, à dominer ma peur, à dialoguer avec moi-même, et, enfin, à m'auto-éduquer. Je découvris ainsi ma médiocrité et celle de notre monde absolument invivable. J'avais la nette conscience d'être un dégénéré, comme presque tous les hommes de cette planète. A vingt et un ans, je n'avais déjà plus aucune dent et vomissais la plupart de mes repas. Je sentais que je n'étais pas un homme réalisé, digne de ce nom et il m'arrivait d'en pleurer. Nous avons oublié que nous pouvons tous être des fils de Dieu, des maîtres à l'image de Jésus. Si j'ai voulu gravir le Linceul, c'était précisément pour remettre en question ma vie même devant Dieu. Je ne pouvais plus supporter ma médiocrité, mes signes incontestables de dégénérescence physique et morale. C'était la preuve d'un profond égoïsme.
Mon projet était bien au-dessus de mes forces. Je voulais gravir le premier tiers de la voie directe Desmaison à l'éperon Walker, rejoindre le Linceul au-dessus des goulottes et sortir directement au sommet par la grande muraille où Serge Goussault a trouvé la mort. J'a vais décidé au hasard de commencer mon ascension le dimanche 23 février quel que soit le temps, mais j'avais l'intuition qu'il ferait très beau.
C'est sans veste en duvet, et sans onglée malgré mes mains nues sur le rocher verglacé, que j'ai gravi les trois cent cinquante premiers mètres de la voie directe. Depuis deux jours, je répétais trois fois les longueurs à cause de mon sac très lourd. J'avais emporté beaucoup de matériel pour venir à bout des murs déversés par lesquels je comptais atteindre le sommet. La nuit, harnaché dans des sangles fixées à des pitons à cause du manque de vis, je frissonnais souvent, mal protégé par un simple « sursac » isotherme et une petite tente de paroi. J'avais heureusement le réconfort de boissons chaudes. Les quatres premiers jours n'ont pas d'histoire et il serait fastidieux de les raconter. A mesure que je m'élevais dans la grande paroi, je per dais la notion du temps. Dans cette solitude totale, j'oubliais la fatigué, la soif, la faim, le froid. Malgré la glace noire, vitrifiée et cas santé du Linceul, je n'avais plus conscience du danger, des difficultés. Je franchissais de longs passages sans auto-assurage, en équilibre précaire sur les pointes avant de mes crampons qui pénétraient de quelques millimètres seulement. Je perdais de longues minutes sans y faire attention à observer quelques bulles d'air dans la glace ou un petit lichen sur le rocher. J'en arrivais à oublier que je devais atteindre le sommet. Seule la très grande raideur de la pente m'obligeait à réaliser ma position et à progresser vers le haut.
Le mercredi 26 février, j'installai mon bivouac sur l'îlot rocheux isolé au milieu du Linceul. En changeant de cartouche, je perdis le joint d'étanchéité de mon réchaud et je dus le jeter. Je me débarrassai aussi de ma réserve de gaz, des vivres déshydratés devenus inutilisables, de la viande séchée et du lard que je ne pouvais plus supporter. Toute la nuit, pour étancher ma soif, j'ai sucé des glaçons. Ma bouche était amère et brûlante mais je restais serein. J'aurais pu redescendre facilement : une vingtaine de rappels et j'étais au pied de la face, sauf. Mais je n'étais plus libre de mes actes et je devais continuer. J'abandonnai à contrecœur du matériel d'escalade et mes deux cordes de 40 m pour m'alléger. C'est en solitaire intégral, avec un sac encore très lourd, que je décidai de rejoindre l'arête des Hirondelles. Tous les dix mètres je m'arrêtais épuisé, pour reprendre mon souffle et soulager les crampes de mes mollets. Jamais je n'avais autant souffert. La moindre faute de cramponnage et c'eût été la grande glissade avec, au bout, la mort. La peur qui lentement s'insi nuait en moi augmentait ma fatigue.
Je n'étais plus qu'à cinquante mètres de la sortie lorsque j'entendis un hélicoptère approcher. C'était le secours en montagne. J'enfonçai une broche dans la glace, m'y attachai et levai les bras en « V » pour signaler ma détresse ; lorsque j'aperçus dans la cabine ces deux hommes qui venaient pour moi, je ne pus retenir des larmes. Je restai plusieurs minutes ainsi, immobile, bras levés, puis récupérai ma broche et repris mon ascension. L'hélicoptère s'éloigna. J'étais persuade qu'il viendrait me récupérer sur l'arête. Cette crise nerveuse m'avait survolté : c'est presque en courant que je franchissais les derniers mètres. Le Linceul était vaincu, mais si l'on ne me venait pas en aide. j'étais sans doute perdu.
Après un bivouac glacial dans une niche de rocher, j'assistai à un lever de soleil sur le Valais ; inoubliable ! Après- cinq jours passés dans l'ombre sinistre de la face nord, ses rayons me réchauffaient malgré le fort vent du matin. Je repris ma progression ; j'étais fati gué, fatigué à mourir. Je dus me débarrasser avec peine du matériel qui, depuis le début, m'aidait au cours de mes ascensions solitaires comme les fidèles outils d'un artisan. Parfois, ma vue se brouillait, mes jambes fléchissaient, et je devais inspirer fortement par le ne/ pour retrouver mes sens. Il me restait seulement trois biscuits complets et quelques morceaux de sucre mais je n'avais plus faim. Vers midi, j'atteignis la jonction avec l'arête du Tronchey. Le sommet était là, tout proche, et j'allais l'atteindre lorsque de nouveau l'hélicoptère approcha. Je fis le signal conventionnel de secours pendant qu'il tournait autour de moi. Puis j'eus une réaction imprévisible : comme la veille, je me mis à courir vers le sommet. Les sauveteurs me croyant en pleine forme s'éloignèrent.
Au sommet je me suis effondré en pleurant. Sans doute était ce a cause de la déshydratation ou de l'épuisement. Lorsque je parvins a me redresser, ma tête se mit à tourner et je faillis basculer par dessus la corniche dans la face nord. Après un long repos, je commençai a descendre vers Courmayeur. J'enfonçais dans la neige jusqu'aux genoux ; tous les dix pas je m'arrêtais, parfois je tombais. Arrivé au niveau des rochers du Reposoir, je m'arrêtai définitivement. J'étais descendu trop bas et ne pouvais plus remonter. Le soir, un hélicoptère rouge venant du col des Grandes Jorasses fonça droit sur moi. Pour la troisième fois, je fis les signaux de secours, mais les sauve leurs qui sont passés exactement au-dessus de moi ne me virent même pas. Au loin, une grande barrière de nuages venant d'ouest avançait lentement : c'était le mauvais temps.
Je ne décrirai pas ici les six jours passés là-haut, à 3 700 m d'altitude, sans nourriture ni boisson, dans la tempête et les avalanches, car cela me serait impossible. J'aurais dû mourir mais, pensant à la douleur de mes parents, j'ai voulu vivre. J'ai prié comme jamais auparavant, directement en contact avec l'objet de mes prières. Le jeudi 6 mars, vers 11 h du matin, l'hélicoptère arriva. Dans la nuit, j'avais été averti de sa venue. Avec un courage remarquable, le pilote stabilisa son appareil au-dessus de moi. D'un instant à l'autre, les nuages qui montaient pouvaient me cacher définitivement à sa vue. Suspendu à un câble d'acier, le gendarme Mathieu descendit
lentement. Il m'installa à sa place... une secousse ! J'étais arraché à une mort certaine. Je n'oublierai jamais ces minutes.
Avant le Linceul, je fuyais en montagne parce que j'avais peur d'affronter la vie, de regarder les réalités en face. A présent, j'ai entrepris un long travail de régénération qui me demandera toute une vie d'efforts, une discipline sévère du corps et de l'esprit. Qu'importé de gravir une paroi extrême ? Il existe en nous des barrières plus infranchissables encore. Le VIP degré n'est pas après le VIe, il est en nous. Mais assez de mots.
28 février 1975 : depuis l'hélicoptère du secours en montagne, Ivan Ghirardini sur l'arête terminale non loin du sommet de la pointe Walker.
TABLEAU DE MARCHE
Vendredi 21 février 1975. - Descente de la Vallée Blanche à skis avec quatre camarades bas-alpins dans l'après-midi et nuit au refuge de Leschaux.
Samedi 22 février. — Pierre Lombard (de Larche) et Michel Longeron (de Maljasset) m'aident à por¬ter mon lourd bagage au pied de la face. La paroi est sèche. Long repos l'après-midi, seul.
Dimanche 23 février. — Vers 10 h je franchis la rimaye et attaque la directe Desmaison à l'éperon Walker. Très vite les difficultés sont sérieuses. Les rampes sont raides et verglacées ; entre elles des murs verticaux ou déversés. Je dois faire trois fois les longueurs à cause du sac. Bivouac très inconfortable le soir.
Lundi 24 février. — Le temps est toujours parfait, la veste duvet n'est pas encore indispensable. Je trouve des cordes fixes laissées par René Desmai¬son mais elles sont inutilisables. Vers 17 h, l'hélicoptère arrive, je fais les signaux conventionnels : tout va bien, je continue. Après avoir gravi les 350 premiers mètres j'installe mon troisième bivouac.
NOTES COMPLEMENTAIRES
Mardi 25 février. — Je rejoins le Linceul par une traversée facile mais je n'ai pas envie de grimper ; je perds beaucoup de temps à observer et je progresse peu dans cette journée. La glace est noire et cassante comme du verre. Bivouac très inconfortable mais la nuit passe quand même assez vite.
Mercredi 26 février. — L'ambiance est vraiment sinistre malgré le temps très beau. Le soir, au bivouac, sur l'îlot rocheux au centre du Linceul, je perds le joint d'étanchéité de mon réchaud. Plus de possibilité de faire fondre la glace, plus de liquide, plus de boissons chaudes !
Jeudi 27 février. — Toujours un temps splendide, j'abandonne cordes, pitons, vivres déshydratés et décide de sortir par l'arête des Hirondelles en solo intégral. La pente n'est plus très raide mais la glace est toujours aussi mauvaise. Sous l'arête, de nouveau un hélicoptère. Je fais les signaux de secours, bras levés en V, puis reprends ma progres¬sion. Sortie par une cheminée facile. Bivouac très joli dans une niche de rocher sur l'arête.
Vendredi 28 février. — L'arête est facile mais je suis épuisé. Tout prés du sommet, l'hélicoptère
revient. Je fais à nouveau les signaux de détresse puis cours vers le sommet sans savoir pourquoi. L'hélicoptère s'en va. J'entreprends la descente sur Courmayeur. Le soir, l'hélicoptère fonce sur moi mais ne me voit pas. Il ne me reste que trois morceaux de sucre et deux biscuits. J'installe mon bivouac vers 3 500/3 700 m.
Samedi Ier mars. — Arrivée du mauvais temps. Je n'ai plus la force de continuer et, installé sous ma tente de paroi, je ne bouge pas de la journée.
Dimanche 2 mars. — Tempête de neige et de vent violent qui me ballotte dans mon frêle abri.
Lundi 3 mars. — Tempête de neige. Une avalanche recouvre ma tente. Je réussis a me dégager après bien des contorsions et des efforts désespérés.
Mardi 4 mars. — Légère accalmie ; je suis au-dessus des nuages. Le gros mauvais est passé.
Mercredi 5 mars. — Je n'ai plus la force de me tenir debout, mais à force de prier (non pour moi-même et ma pauvre carcasse), je pénètre dans un exaltant délire mystique. Mes pieds gèlent.
Jeudi 6 mars. — Vers 11 h 30 l'hélicoptère revient et me repère sur le glacier. Il parvient à se stabiliser ; le treuillage est rapide. Quelques minutes plus tard je suis au sec dans la salle de réanimation de l'hôpital de Chamonix.
MATERIEL ET EQUIPEMENT
Rien d'original si ce n'est une petite lime pour affûter les crampons aux bivouacs. Cela réchauffe et c'est efficace sur les « Makalu ».
— chaussures hivernales R.D. et surbottes ;
— pantalon et veste duvet protégés par survêtement en coton fort ;
- 2 cordes de 80 m en 9 mm, deux poignées auto-blocantes, 15 mousquetons, 5 à vis, une plaquette frein Salewa pour auto-assurance dynamique, 20 pitons de rocher et des bicoins pour la sortie directe ;
— un piolet métallique, 2 marteaux d'escalade « Condor », 2 paires de crampons « Makalu », 15 broches coniques — les seules efficaces en hiver ;
— un réchaud à gaz pouvant se suspendre à un piton et 6 cartouches de réserve ;
— pour le bivouac : une tente de paroi et un sur sac isotherme. J'ai regretté l'absence de hamac à cause du manque de vires suffisantes. J'ai passé tous mes bivouacs dans la face sur des sangles accrochées à des pitons.
Nota. — Un stylo lance-fusée ou une radio m'auraient permis de communiquer plus facilement avec le secours en montagne.
ALIMENTATION
J'avais prévu 10 jours de vivres avec 500 gr par jour, soit 5 kg. En fait, j'ai très peu mangé et je me suis très vite débarrassé du lard, du chocolat, du lait condensé et en poudre, du thé, du café, des vitamines « C ». Tout cela ne passait pas. J'ai surtout apprécié des biscuits complets de ma fabrication, des noisettes et des amandes, du miel. La perte de mon réchaud a été vraiment une catastrophe car il faut boire environ 3 1 par jour. En suçant de la glace, j'ai pu éviter l'inexorable intoxication du sang due à la déshydratation mais j'ai fortement refroidi mes viscères ce qui a provoqué les gelures.
TECHNIQUE
— Je ne me suis pratiquement jamais assuré sauf dans la directe Desmaison pour franchir la rimaye et pour un mur déversé en artificielle. J'attachais mon sac à la paroi, lovais soigneusement ma corde et grimpais sur 40 m, installais un solide relais, redescendais chercher le sac et remontais à la corde.
- Le treuillage du sac est exclu dans les parties rocheuses car il y a trop d'aspérités ; il est par contre facile dans le Linceul.
— Pour la glace, j'ai utilisé la technique « piolet-traction double ». Pour soulager les mollets, il faut mettre un pied sur les pointes avant et l'autre en cramponnage latéral puis inverser tous les 10m.
NOTES DIVERSES
— Il est sans doute possible pour un fort grimpeur de sortir le Linceul en hiver dans la journée malgré la glace mauvaise en passant dans la goulotte de droite. Un matériel plus léger est alors suffisant.
— A partir du troisième jour, le grimpeur solitaire pénètre dans un autre monde, avec une autre logique. L'accoutumance au danger est alors surprenante. Etat de visionnaire prononcé suivant l’isolement et l'individu.
— On peut tenir très longtemps sans nourriture. Il faut en être persuadé et rester serein. Tout se passe alors très bien. Contrairement à ce que l'on pourrait croire cela ne demande pas d'efforts de volonté. Il n'y a là rien de surhumain.
- Malgré un état d'épuisement extrême, j'ai pu chaque nuit dormir sans crainte de ne pas me réveiller le lendemain. Nous programmons sans doute nous-mêmes notre mort. Dois-je terminer en disant le dévouement des sauveteurs du secours en montagne.
N.D.L.R. : Le fait que l'hélicoptère soit passé plusieurs fois à proximité de l'alpiniste effectuant les signaux usuels de détresse — bras levés en V — sans déterminer cette situation, souligne la nécessité de prévoir le carré de tissu rouge avec couronne de couleur blanche qui, étendu sur la neige ou le rocher, constitue un signal d'appel au secours récemment adopté par la Commission Internationale de Secours Alpin.