Première en solo de la face sud de l'Aconcagua.
Il fait chaud, très chaud, chaque pas est
un effort, mais qu'importé!
Elle est douce cette petite voix qui dans
mon cœur susurre ces simples mots
"tu réussiras".
Est-ce toi, Marie-Jeanne?
Mon petit bout de femme, si loin à
présent.
Est-ce toi, lumière du linceul, qui tout là
haut, dans l'infinie détresse, soutenait
mon esprit? Personne ne répond.
Qu'il est étrange ce silence infini !
Je t'aime, altitude, qui dilue notre âme
et dissout nos pensées.
Il suffit alors de tendre l'oreille.
Et tout le Grand Univers se met à parler.
Doucement d'abord, pour ne pas nous
effrayer. Puis c'est comme une eau vive
et tumultueuse qui jaillit de partout
et rebondit dans nos cœurs.
Je vous aime, hautes montagnes !
Merci pour votre infinie beauté.
Vous êtes les cathédrales que Dieu a bâties pour nous
et vous escalader est notre prière.
Merci lumières d'Occident et d'Orient!
Merci pour votre grand message !
La vérité n'est écrite sur aucun livre,
elle ne sort de la bouche d'aucun
prophète.
Mais elle est là, devant nous tous,
insensible à nos recherches, trop visible
pour être vue vraiment.
Elle est tout entière dans le Grand Univers.
Et rien ne peut l'altérer. Quel P silence étrange !
Mètre après mètre, doucement, je m'élève dans la Grande Paroi.
Je ne suis plus dans la directissime de la face Sud
de l'Aconcagua, mais sur une montagne
mythique, irréelle et étrangement amicale.
Le danger et les difficultés n'existent
plus. Quelle paix ! Quel silence !
"Tu réussiras" répète la petite voix.
Plus rien n'a d'importance.
Le soleil disparaît doucement, derrière la
fine arête.
Le froid s'installe brutalement; l'air
prend un goût de métal.
Bientôt les premières étoiles apparaissent.
La Croix du Sud d'abord, puis des
milliers d'autres sous l'immense voûte
noir d'encre du ciel.
Le gel mord la roche ; la paix de la nuit
s'installe à son tour avec son lot de rêves
et de frissons.
Qu'il est brûlant le silence de la nuit !
Nouvelle aube, nouvelle journée de peine
et d'efforts !
Où vas-tu, conquérant solitaire ?
Quelle folie que la tienne !
Chaque fois il te faut recommencer,
Toujours plus haut,
toujours plus loin
toujours plus difficile.
Comme dans un rêve qui jamais
n'aboutit.
Le Grand Alpinisme vient de l'Italie,
de la terre de Michel Ange et de Vinci,
comme le bon Champagne est français ou
les saucisses, allemandes.
Car le grand alpinisme n'est pas sérieux.
Il faut des mains dures de maçon,
une âme un brin religieuse.
Mais surtout une étrange folie intérieure,
qui fait préférer les rudes parois à la plus
douce des femmes.
"Bois un grand coup" dit la voix, "cela
passera".
La paroi est vaincue, la femme esttoujours là, attentive et merveilleusement
belle,
Mais le cœur de l'alpiniste reste toujours
aussi infidèle
Vers quelle autre aventure partira-t-il
bientôt, lui qui veut écouter le Grand
Univers ?
Mais qui est le plus imbécile des
hommes!» •
Ivano Ghirardini
montagnes magazine - n° 28