mardi, novembre 10, 2009

Ivano Ghirardini, un véritable "miracle" au Linceul.


MONTAGNE
LE VAINQUEUR EN SOLITAIRE DU «LINCEUL» RETROUVÉ  SUR  LA  FACE SUD DES GRANDES JORASSES OU IL ÉTAIT  EN  PERDITION  DEPUIS  SIX JOURS

 6   mars.  
Ghirardini    pourra    se revenir   de   loin après avoir vaincu la face nord des Grandes Jorasses en hivernale solitaire.
 lundi, aux commandes rie l'Alouette III cie la Gendarmerie nationale. l'adjudant Moreau aperçut le solitaire dans le Linceul.
Lundi 27, au cours d'une autre mission. M. Komet, pilote de l'Alouette III de la Protection civile, aperçut, le solitaire alors qu'il n'était plus qu'à trois longueurs de corde du sommet du Linceul.
Enfin le 28, vers 11 h 30. le solitaire lut aperçu, toujours par le pilote, sur arête qui relie le col des Hirondelles a la Pointe Walker. Dans l'après-midi, on aperçu', sur le versant sud. ses traces qui se dirigeaient vers le rocher Whymper.
On était donc en droit de penser qu'Yvano Ghirardini avait rejoint Courmayeur, puis Saint-Auban.
Le 5 mars, un coup de téléphone de son père remettait tout en question. Il n'était pas rentré a Saint-Auban! Enfin le (i au malin, le lieutenant Pellin recevait un coup de téléphone d un parent. M. Chauvet, très inquiet, et demandant que l'on lasse le nécessaire.
Jeudi   matin   l'adjudant   Moreau. pilon* rie l'Alouette III de la Gendarmerie, alors qu'il se trouvait droit dessus le col des Jorasses, aperçut sur le versant sud une tache suspecte. Avec l'accord des autorités italiennes, il franchit la crête frontière. A 3 700 mètres d'altitude. a l'aplomb de la pointe Whyrnper, il découvrit, étendu sur la neige, bras en croix, le .solitaire du Linceul
Trente mètres au-dessous de lui, c'était la mer de nuages opaques !
Il fallait faire vite. Malgré de fortes turbulences et les nuages de neige poudreuse que soulevaient les pales, le pilote réussit un vol stationnaire juste a la verticale du naufrage Ie gendarme guide Mathieu fut descendu par le treuil. Peu après Ghirardlni lut hissé a bord de l'appareil. Puis ce fut le tour de Mathieu !
Vingt minutes aprer>, le res¬capé arrivait à l'hôpit.il de Cha-nionix où il était placé immé¬diatement au service de réanimation. Atteint de nel lires fmx pieds et aux mains. Ghlrardlni (•lai! hier dans un état d'épuise¬ment extrême.
Il a\ au px-rdu son réchaud le cinquième Jour de son ascension et aepuis .six jours ne .s'alimentait plus qu'en suçant de . la neige ou de la glace.,.
« Je crois que J'aurais pu tenir encore ce: après-midi, eut-Il la force de dire a .ses .sauveteurs, mais je n'aurais certainement pas pas.se la nuit. »
Les sauveteurs sont, certes, heureux d'avoir arrache un alpiniste à la mort, mais, nous a dit le lieutenant Félin: «Depuis le 20 décembre dernier nous avons dû intervenir 50 lois et dans une quin/aine de cas au moins, ce fut dans ries circonstances qui ont mis en danger la vie même des secours. Il faut que les alpinistes finissent par comprendre qu'un jour nous risquons de ne pouvoir intervenir et qu'alors, pour eux. il n'y aura aucun espoir de salut. »
Philippe GAUSSOT France Soir


IL s'agit d’un exploit hors du commun. Un Jeune alpiniste de St-Auban, dans les Alpes de Haute Provence, aspirant guide, vient de réussir en hivernale et en solitaire la voie du Linceul dans les Grandes Jurasses. Un mur de glace haut de 800 mètres depuis la rimaye jusqu'à ï l'arrête faîtière des Hirondelles.
De grandes courses alpines ont été répétées en solitaire. Parfois la première avait été réalisée par un alpiniste tout seul. Le plus célèbre exemple en est celui de Walter Bonnati qui ouvrit en solitaire en six jours la voie du pilier sud-ouest des Dru, pilier qui porte depuis son nom. I Certes, l'escalade seul d'une haute paroi rocheuse |rend les difficultés plus grandes surtout par la nécessité  de l'auto-assurance qui fait que le grimpeur doit parcouririr trois fois le même passage. En effet, il grimpe en plantant des pitons lorsqu'il le faut, comme pour une escalade ( normale, mais avec une boucle d'auto-assurance. Parvenu 'après 25 ou 30 mètres à un endroit qu'il considère bon et qu'on appelle un relais, ii doit fixer un double piton. Sur la  corde passée dans le mousqueton de l'un des pitons, la corde qui est reliée au baudrier, il s'assure sur l'autre corde fixée à l'autre piton, il redescend grâce à une poignée spéciale qui lui servira aussi à rendre la remontée plus facile. Retourné à son point de départ il entreprend une nouvelle escalade du passage en enlevant au fur et  à mesure les pitons. Arrivé à nouveau au relais il ne lui reste plus qu'à tirer par une cordelette qu'il lui a fixée le sac contenant son matériel. Il a donc fait trois fois le passage, deux à la montée et une à la descente. :Les risques s'en trouvent donc forcément accrus, la fatigue aussi, ainsi que le temps passé dans la voie. Mais tout ceci, risques, fatigue et temps, se trouve considérablement augmenté dans une course glaciaire en solitaire. Car l'assurance sur les points de glace est plus délicate qu'un rocher et plus précaire malgré les progrès j réalisés dans les broches.
A deux grimpeurs elle constitue déjà un problème sérieux. Seul, tout est forcément plus difficile encore. Et puis, dans le cas du Linceul il y a durant des jours la  présence de la glace tout contre le corps. de l'alpiniste et des effets de refroidissement de l'organisme qui s'ensuit.
Aussi,  la  réussite de Ghirardini  constitue-t-elle  vrai-(ment un  grand  exploit sportif complet.   A  cela  s'ajoute comme on le verra dans le récit exclusif que nous publions les deux  incidents graves : la perte du réchaud l qui   faisait   disparaître, la   possibilité  de   faire   fondre   la  neige   et   de   lui donner   les   précieux   litres   de   boisson  chaude et la méprise de l'équipage de l'hélicoptère sur ses signaux de détresse- par deux fois.  Il a fallu à ce jeune aspirant  guide  de  22 ans,  des  qualités   physiques  d'endurance exceptionnelles à cet âge, mais aussi une trempe » morale particulière pour assurer sa survie.  Ivano Ghirardinï, fils d un ouvrier de l'usine de Saint-'Auban   nous   a   confié  en  exclusivité   le   récit   de   cette 'grande première. Qu'il en soit remercié.
Nicole ROUSSEAU. La Marseillaise.